23/07/2014

La chronique d'Olmer (1)

Niccolo

Au retour d'un récent voyage à Venise j'ai fait une petite recherche sur les films tournés dans la cité des doges. Identification d'une femme de Michelangelo Antonioni, un film que j'adore, était cité à plusieurs reprises. J'ai donc ressorti mon vieux DVD anglais du film pour mon plus grand plaisir. Et à la revoyure ce n'est pas Venise qui m'a intéressé, et qu'on ne voit qu'un peu à la fin du film, mais son personnage principal. Avec Identification d'une femme, Antonioni compose un étrange personnage de réalisateur, Niccolo (interprété par Thomas Millian), un réalisateur entre 2 films. Il y a un truc étrange avec Niccolo, on ne l'imagine pas diriger un film. À vrai dire si Niccolo se rendait sur un tournage pour diriger un film ça ressemblerait à la pub Pétrole han ! "Moi quand je dirige un film, je prends toujours le temps de me faire une lotion de Pétrole han".
Le métier de réalisateur est ici, dans le film, fantasmé. On sait à quel point le métier de réalisateur n'est pas une sinécure, ce qu'il en coûte physiquement et moralement. La plupart des projets n'aboutissent pas et les réalisateurs passent leur temps à lutter et chercher des financements. On sait que Niccolo est réalisateur à la question que lui posent tous les gens qu'il rencontre: "tu prépares un nouveau film?". Niccolo semble détaché des tâches ingrates qui incombent à sa fonction. Il jouit d'une vie matérielle et spirituelle d'un haut niveau. Grand appartement romain avec vue, il a plaisir à conduire une Lancia, il est libre la journée. Et que fait-il de ce temps libre ? Investigation sur la vie, réception chez les bourgeois, observation de la vie de ses congénères avec détachement mais intérêt. Niccolo est en quête. Femmes (il dira "visage"), "sujets", lieux, les 3 composantes de son film à venir, de ce film qui n'existe que dans sa tête. Il cherche des sujets dans les journaux, se promène dans la ville et hors de la ville dans sa Lancia. Il rencontre plusieurs femmes dans la réalité. Mystérieuses, actrices, jeunes filles... Et il découpe les photos d'autres dans les magazines et accroche leurs visages sur les murs de son studio. Niccolo voit un visage en couverture d'un magazine, il part à la rencontre de cette femme, en tombe sur une autre encore plus jolie, peut lui demander si elle est amoureuse ou frigide et elle, lui répondre qu'elle préfère la masturbation. Pas vraiment le genre de situation qui nous arrive tous les jours. Attendre une actrice de théâtre à la sortie, observer un boulanger au travail... Voilà ce qui occupe Niccolo. Antonioni s'est-il inspiré de sa propre vie pour créer Niccolo ? J'en doute. Niccolo est juste la version fantasmée du réalisateur. Quand je vois Identification d'une femme je ne rêve pas d'être réalisateur, non, je rêve d'être Niccolo ! Chercher un visage, chercher un sujet, chercher un lieu... Quelle plus belle quête pour un créateur ?
À la fin, Niccolo arrêtera sa quête sur un improbable film de science fiction. L'originalité du personnage de Niccolo est une des nombreuses qualités du film le plus sous estimé du maestro de Ferrare. "


Olmer