Le nomadisme
soustractif
Tout
processus artistique répond à une injonction psychique. Dans notre cas, il s'agit d'une injonction liée à une névrose obsessionnelle. Pour poser les choses
en termes lacaniens, on peut dire que le sujet est poussé par la nécessité de
pallier sans cesse à l’effondrement sur lui-même d’un ordre symbolique auquel il a adhéré jusqu’ici.
C’est parce que le contexte signifiant dans lequel baigne sa subjectivité se
heurte sans cesse à ses propres impasses, à sa propre inconsistance, que la
pression du Réel se fait sentir au point de rompre la confortable clôture du
sens. Seulement, l’artiste se propose alors non pas de rejeter le Réel dans la
tentative conservatrice de cette clôture (complaisance dans sa névrose), mais au contraire de
prendre à bras le corps l’inconsistance même de l’ordre symbolique afin de
mieux le transfigurer, de mieux le réinventer. Pour se faire, l’artiste devra
transmuer l’énergie de son manque à être (sa libido, son "énergie esthétisante"), en se confrontant
directement au Réel.
La
méthode suivante se veut une façon de canaliser et de diriger cette énergie libidinale (ou esthétisante) vers l'inconsistance même du Réel, dans l’optique
d’une transfiguration de l’ordre symbolique. Elle sert en quelque-sorte de
prothèse ou de béquilles au sujet obsessionnel qui serait tenté de
renoncer ou de succomber aux affres du doute face à une telle
dissolution du sens face au Réel.
Cette
méthode suit une logique soustractive, au sens où elle entend viser, au sein
d’un contexte signifiant dans lequel le sujet est installé, l’absence de raison
d’être même de ce contexte signifiant afin d’en dissoudre la loi symbolique, le
sens structurant, pour lui en substituer les prémisses d'un nouveau, pour ainsi dire « frais »
et non-fixé dont il se contentera comme œuvre.
On peut aussi voir cette méthode comme une
double perversion de la névrose obsessionnelle. Dans un premier temps comme
méthode tournant en dérision la stratégie conservatrice de cette névrose
(le plaisir d'une quête illusoire et interminable d'une clôture
signifiante et pleine), puis dans un second temps comme une façon de
conjurer la perte totale de soi dans le Réel (cela revient à poser une
limite à sa jouissance).
Dans
la pratique photographique, la logique générale de cette méthode se déploiera de
la façon suivante :
1.
Prise
de conscience d’une pression du Réel et de l’inconsistance d’une clôture interprétative du monde : besoin de transmuer l’énergie libidinale.
2.
Choix
d’un espace du monde, que l’on nommera « territoire », qui actualise
au sein du monde cette clôture du sens (dite clôture discursive) dans laquelle le sujet est conditionné. Choix également d’une période d’exploration limitée par une
échéance afin de s’imposer un impératif d’achèvement. Ces deux choix préalables
dessinent les contours d’un projet photographique, mais d’un projet qui ne
se veut ni programmatique (retour à une angoisse de la non-clôture) ni évasif (dispersion dans une inconsistance totale).
3.
Errer
dans ce territoire en quête de « punctums », qui sont les traces
d’une confrontation avec le Réel. Cette errance entraîne un suspens du sens et une anesthésie de l'énergie libidinale (le désir esthétisant demeurant comme à l'arrière-plan de notre réceptivité). C’est une phase dite de
« déterritorialisation ».
4.
L’errance
et la dissolution du sens ne peuvent pas s’éterniser sans courir le
danger de la démence ou de la renonciation. L’impératif d’achèvement (l’échéance)
impose une réaffectation du territoire par le sens. C’est la phase dite de
« reterritorialisation », dans laquelle s’organisera une série
photographique.
Ces
points généraux étant énumérés, en voici un bref développement moins abstrait,
plus ancré dans la vie intérieure de la pratique photographique.
1.
Prise de
conscience d’une pression du Réel et de l’inconsistance d’une clôture interprétative du monde : besoin de transmuer l’énergie libidinale.
Toute photographie digne de ce nom naît
d’une rencontre entre une immédiateté génératrice d’un « punctum » et
d’un contexte signifiant dans lequel s’est installé un « désir de
composition esthétique ». C’est cette tension pesante entre
« punctum » et « désir de composition esthétique » qui
révèle à la conscience du photographe la pression d’un Réel et les limites de sa subjectivité installée au sein d'une clôture discursive. Définissons ces deux notions.
La notion de punctum, initialement définie
par Roland Barthes pour commenter son expérience de spectateur face à un détail
photographique imprévisible, inouï, insu, qui produit en soi un trouble, un
ébranlement, un choc, est ici détournée au profit d’une description de l’acte
photographique lui-même. On la complètera également par la vision de Derrida
qui remarque que bien que le punctum se présente sous la forme d’un fragment
s’étant invité dans le cadre, il exerce une force métonymique qui envahie le cadre,
l’irradie et devient le cœur du cadre lui-même. Cette notion de punctum telle
que nous l’entendons peut être synthétisée par le concept d’événement chez
Badiou : ce quelque-chose de stupéfiant qui se produit localement dans un
monde, et qui non seulement ne peut être déduit des lois de ce monde, mais
porte en lui la possibilité d’un nouveau monde. Le punctum tel que nous
l’entendons est donc une piqûre microtraumatique issue d’une immédiateté
imprévisible qui vient ébrécher notre conditionnement subjectif et de fait, nous y
venons, nos goûts esthétiques.
Le désir de composition est, à l’inverse
du punctum, l’actualisation même d'une clôture discursive au sein de notre subjectivité. Aucune subjectivité
n’échappe à la marque imposée d’un discours qui clôture le sens du monde perçu.
Notre inconscient lui-même en est la première victime. N’est-il pas
« structuré comme un langage » ? C’est Lacan qui, par cette
formule fameuse, montre que l’inconscient lui-même et toutes nos pulsions en
apparence les plus incohérentes et spontanées servent un discours qui a sa
logique propre. Le désir de composition, qui guide l’organisation d’un cadre,
est issu d’une architecture inconsciente qui ramène, au nom d’une présence
pleine, d’un manque à combler, les formes extérieures à une interprétation
instinctive, en accord avec nos déterminismes psychiques, idéologiques et
sensitifs. Le désir de composition n’est rien d’autre que l’ancrage de notre
subjectivité au sein d’un ordre symbolique. Les goûts esthétiques qui en
découlent sont donc des agents de rejet du Réel et
de complaisance dans ses propres déterminismes subjectifs.
Cette tension entre punctum et désir de
composition introduit un enjeu autant éthique que psychique. En effet, se
contenter du désir de composition reviendrait à se complaire dans un
autoportrait de soi comme esclave de ses déterminismes (ou d’un autoportrait de
soi comme un porc : comme disait Freud, l’esthétique commence avec le
flaire. On pourrait même dire avec le groin). En revanche, il est impossible de
prévoir l’apparition d’un punctum et encore moins de se l’approprier
totalement, ce qui reviendrait à prévoir son inclusion au sein d'un désir de composition, chose impossible. Il faut donc trouver un moyen de rendre cette tension fertile, de
la cultiver activement.
Pour se faire nous nous proposons de
transmuer l’énergie libidinale au travers d’une méthode dite
« soustractive ». Nous allons tenter d’anesthésier le plus possible
l’énergie libidinale, non seulement pour se rendre plus réceptif aux
apparitions des punctums, mais également pour en cerner leur trace sans tomber
dans l’écueil de l’esthétisme.
2.
Choix d’un projet photographique : échéance
et territoire.
On reprend ici un lexique propre à
Deleuze. Le « territoire » est cet espace du monde (ou un ensemble de localités formant un espace homogène), qui actualise une clôture discursive (celle dont l'inconsistance est devenue angoissante pour le sujet). Le choix du territoire sera donc celui de l'espace sur lequel s’organise un contexte signifiant convenu, répétitif et
banalisé, dans lequel s’est installé notre subjectivité désormais angoissée par son inconsistance.
Pour le
dire vite, le choix du territoire dépend de ce qui obsède notre flaire
esthétique. On ne peut s’en rendre compte qu’en photographiant au hasard, en
prêtant attention à ses propres obsessions et, tout simplement, en se
confrontant au cours de sa vie aux inconfortables miroirs que nous tendent les
autres.
Le choix de la durée de l’exploration de ce territoire dépendra soit d’un impératif extérieur (par exemple la durée d’un voyage imposée par un billet retour) soit d’une évaluation arbitraire du temps souhaité : elle prend la forme d’une échéance. Quoiqu’il en soit, ces deux bornes spatiale et temporelle doivent contraindre l’errance du photographe. Elles doivent agir comme ce qui ancre matériellement le photographe dans le monde. Ces deux bornes rappellent au photographe qu’il travaille sur un corps mondain, dont certes il va se détacher momentanément et mentalement, mais pour mieux renouer avec une transfiguration concrète. Pour reprendre une formulation d’Arnaud Claass, on peut aussi dire que ces deux bornes agissent comme des « gardes-fou » à une pratique « mentalement déterritorialisée ».
Le choix de la durée de l’exploration de ce territoire dépendra soit d’un impératif extérieur (par exemple la durée d’un voyage imposée par un billet retour) soit d’une évaluation arbitraire du temps souhaité : elle prend la forme d’une échéance. Quoiqu’il en soit, ces deux bornes spatiale et temporelle doivent contraindre l’errance du photographe. Elles doivent agir comme ce qui ancre matériellement le photographe dans le monde. Ces deux bornes rappellent au photographe qu’il travaille sur un corps mondain, dont certes il va se détacher momentanément et mentalement, mais pour mieux renouer avec une transfiguration concrète. Pour reprendre une formulation d’Arnaud Claass, on peut aussi dire que ces deux bornes agissent comme des « gardes-fou » à une pratique « mentalement déterritorialisée ».
Choisir un projet de cette façon est
primordial. Si l’objet de l’exploration se base sur des catégories prédéfinies telles que le travail d'un sujet précis, de certaines situations ou d'un genre en particulier, alors on perd la notion d’errance mue par un manque et une
absence de raison d’être, on se sédentarise dans une interprétation
programmatique. A l’inverse, ne pas s’assigner de territoire reviendrait à
prouver que sa subjectivité ne demeure nulle part, ce qui est proprement
irréel. Le territoire définit ainsi un sujet d’étude tout en préservant le
nomadisme soustractif. Il peut bien être aussi vaste qu'un contient ou aussi réduit qu'une ruelle, ce qui compte est qu'il soit le lieu d'un plaisir esthétique obsessionnel en même temps que celui d'une errance sans raison d'être.
Quant à la durée, on pourrait se dire que
le sujet devrait sentir lui-même quand achever son exploration. Mais cela
reviendrait à sans cesse observer ses négatifs ou ses tirages afin de sentir le
moment où la matière photographique accumulée prendra sens. Or, cela
interférerait beaucoup dans le processus soustractif qui se veut le plus
« innocent » possible pendant son déroulement. Inversement, se
restreindre à un temps d’exploration minuté dans chacun de ses actes
reviendrait à annihiler toute emprunte subjective en rendant ses actes
absolument arbitraires, ce qui n’est pas ce que nous recherchons puisque nous
voulons travailler sur notre subjectivité et avec elle pour mieux la transmuer.
Voilà pourquoi on préférera s’imposer une échéance. Celle-ci contient
temporellement l’errance sans la brimer ni la rendre trop consciente d’elle-même.
Cela permet également d'oublier les photographies que l'on n'a faites pour pouvoir les redécouvrir plus tars, une fois l'échéance passée, avec un œil neuf.
Une fois sur le territoire choisit, le
photographe doit faire comme s’il n’avait aucune raison d’être là ni aucune
raison de prendre tel ou tel chose en photo, et ce jusqu’à ce que l’échéance
arrive à son terme. Il ne doit tomber ni dans l’écueil du programme conceptuel
ni dans celui de la complaisance autobiographique. Il doit se faire agent
mutagène de son propre Moi et du monde.
3.
Phase de déterritorialisation :
le nomadisme soustractif.
Nomadiser consiste
dès lors à désinstaller sa subjectivité de la clôture discursive dans laquelle elle
a pris ses quartiers. L’exploration soustractive du photographe consistera donc
à errer au sein d’un territoire (lieu de l'actualisation d'une clôture discursive) choisit au préalable, tout en dirigeant sa
subjectivité vers le dehors. La méthode utilisée se déploie de la façon
suivante :
I.
Adopter face aux
formes un regard hypnago-démocratique.
·
Hypnagogique.
Plonger son attention dans une forme de vague, de détachement, de façon à isoler sa perception du monde environnant et à se replier
sur ses pensées. Il s’agit moins d’un désir de solipsisme que d’une étape
consistant à se mettre dans un état de rêverie, d’absentement. Il est important
qu'il y ait cet effet hypnagogique afin de diffuser la réceptivité dans un
demi-sommeil, ou si l’on préfère d’anesthésier le désir de composition.
L'apparition d’un punctum n’en sera que mieux détectée par l’effet d’un
"réveil", d’un sursaut intérieur.
·
Démocratique.
Diffuser
la force agglutinante du désir de composition en s'abstenant de choisir, viser ou bien "sentir" des objets. Tout ce qui est dans notre champ de vision doit équivaloir. Cela revient, tout en étant sous l’effet hypnagogique, à balayer ainsi
l’espace « démocratiquement ». Notre regard se porte alors, plus ou moins frénétiquement en fonction du degré de sa "faim", sur tout un tas de formes potentiellement porteuses de complaisance esthétique tout en étant sans cesse dévié du fait qu'il bute sur leur inconsistance.
Il
est important d’insister sur la nécessaire coalescence du demi-sommeil et du
regard démocratique. Si on se contente du regard démocratique, alors rien ne se
passe et on nage ad vitam dans l’informité la plus indifférente. Si on se
contente du demi-sommeil on demeure simplement dans ses pensées. Il faut qu'il y ait une tension permanente entre les deux : la faim esthétique du balayage démocratique doit sans cesse se heurter au détachement hypnagogique, et le détachement hypnagogique doit se heurter au désir de complaisance pathologique.
II.
Attendre que
s’impose un sursaut d’éveil face à un punctum.
Le suspens de toute consistance qu'entraîne le regard hypnago-démocratique trouve tôt ou tard un agencement de formes dans lequel se soulager : c'est la rencontre d'un punctum qui, a bien des égards, est une façon de jouir.
Nous sommes happés par un instant insistant qui s'impose à contre courant du flux équanime du regard hygnapo-démocratique. Si cet instant insistant s’impose sur la vaste étendue indifférente et neutre du regard hypnago-démocratique, c’est bien qu’il résonne en nous, qu’il est porté par une forme et que celle-ci est toujours partie intégrante d'un ordre esthétique, que nous la percevons donc comme relativement conforme à nos déterminismes subjectifs. Le punctum n’est pas une entité purement informe tombée du ciel. C’est une forme impure, ayant un pied dans notre subjectivité installée et un autre en dehors. C’est pourquoi le résultat d’une photographie par la méthode soustractive se devra de surmonter, lors de la phase du cadrage final, la tentation de formaliser le punctum de façon complaisante.
Nous sommes happés par un instant insistant qui s'impose à contre courant du flux équanime du regard hygnapo-démocratique. Si cet instant insistant s’impose sur la vaste étendue indifférente et neutre du regard hypnago-démocratique, c’est bien qu’il résonne en nous, qu’il est porté par une forme et que celle-ci est toujours partie intégrante d'un ordre esthétique, que nous la percevons donc comme relativement conforme à nos déterminismes subjectifs. Le punctum n’est pas une entité purement informe tombée du ciel. C’est une forme impure, ayant un pied dans notre subjectivité installée et un autre en dehors. C’est pourquoi le résultat d’une photographie par la méthode soustractive se devra de surmonter, lors de la phase du cadrage final, la tentation de formaliser le punctum de façon complaisante.
Gare
également aux faux éveils complaisants qui sont exclusivement des réminiscences
de notre goût esthétique. C'est le degré d'insistance d'une "forme-informe" qui décide de son intensité, donc de sa valeur de punctum.
III.
Cadrer le punctum
en se soumettant au diktat de sa part informelle-sidérante.
La dernière étape consiste donc à cueillir le punctum en poussant sa
formalisation à la limite extrême de l’informe, autrement dit à mettre en forme
le punctum de façon à l’épouser le plus possible dans son informité (qui nous
est subjectivement totalement étrangère) tout en le maintenant comme forme. En
faisant cela, nous renforçons l’autonomie et l’intensité du punctum en tant que
forme quasi-informe.
Il faut d’une
certaine façon que ce qui reste de notre subjectivité se soumette à la
dictature du Dehors, c’est-à-dire à ce qui, dans la trace du punctum, relève
d’une autonomie de l’informe. Du point de vue de l’expérience subjective, il
s’agit de viser l’irradiation maximale du punctum. Mais comment peut-on
procéder pour saisir au plus près de l’informe cette irradiation néanmoins
médiatisée par une forme ? On ne peut ni simplement se laisser aller à la
mise en forme esthétique ni au contraire plonger dans le chaos de l’informe,
car l’un et l’autre annihilerait l’irradiation du punctum qui tient toute entière
dans la tension d’une forme au bord de l’informe. Je proposerais donc, pour
cadrer au mieux cette tension, le double ajustement suivant :
a.
S’enfoncer
virtuellement dans le site d’apparition du punctum, comme si on se
rapprochait physiquement de lui, jusqu’à en toucher la part informe, le chaos intérieur.
Pour procéder à cet ajustement, on se donnera le droit de tourner un peu autour
du site du punctum, faire quelques pas, d’autant plus si le site est mobile. Au
cours de cet ajustement l’irradiation du punctum tend à s’estomper dans
l’informe.
b.
Remettre
le moins possible en forme. Immédiatement ce point d’informité touché, revenir
légèrement à la mise en forme afin de refaire vivre l’irradiation du punctum. Fixer alors le cadre au point limite de la
forme-informe où l’irradiation du punctum sera perçue comme maximale.
Il faut insister sur le fait que
nomadiser ne signifie pas nécessairement voyager. Une errance sur un territoire
peut être médiatisée par un voyage ou une migration, mais cette errance est
d'abord le fruit du choix d'un territoire qui stimulera notre flaire
esthétique, notre pathos. Ce territoire peut tout aussi bien se trouver dans un
pays lointain sur lequel on fantasme que chez soi au coin d'une rue
familière. Ce n'est pas le dépaysement qui affame le regard, c'est la
rétention de toute complaisance esthétique sur un territoire qui invite au
contraire à s'y adonner qui créer un appel d'air, une voracité démocratique du
regard.
4. Phase de reterritorialisation : constitution "magnétique" d’une série photographique.
L’errance et la dissolution de la subjectivité ne peuvent pas s’éterniser
sans courir le danger de la démence ou de la renonciation. L’impératif
d’achèvement (l’échéance) impose une réaffectation du territoire par le sens.
C’est la phase dite de « reterritorialisation », dans laquelle
prendra corps une série photographique.
Son organisation dépend de la façon dont la dissémination hétérogène de la matière photographique accumulée va d'elle-même s'homogénéiser. Les photographies, traversées par les punctums, sont par nature inconsistantes. C'est comme si elles étaient habitées d'un manque de sens qui ne demanderait qu'à être comblé par association, complémentarité ou résonnance avec d'autres photographies. Chaque photographie en appelle d'autres du fait même de leur inconsistance esthétique inhérente. Ce manque et ces appels forment donc les premiers agencements qui feront loi pour l'élaboration d'une série. Tel des aimants qui se repoussent ou se joignent, il y a comme une loi magnétique échappant à tout désir de thématisation ou de catégorisation convenue qui donne une consistance à l'onde signifiante qui circulera entre les photographies.
Si chaque photographie est comme une particule chargée, et que certaines photographies s'associent alors que d'autres se repoussent, alors il en va de même pour des ensembles de photographies qui, comme plusieurs atomes s'assemblent en particules, forment à leur tout des unités visuelles. Les associations ou oppositions de photographies au sein d'un ensemble vont elles-mêmes, en tant qu'ensemble homogène, s'associer ou s'opposer à leur tour à d'autres ensembles.
On comprendra dès lors que l’organisation d’une série repose toute entière sur la gestion des espaces qu’il y a entre les photographies et entre les ensembles de photographies. Le « blanc » de la page ou du mur, voilà ce qui agit comme un champ magnétique au sein duquel s’associent ou se repoussent la matière photographique. Comme le dit Arnaud Claass : « En fait, quelle que soit la nature des œuvres, la qualité d’élucidation ou d’imaginaire de tout corpus cohérent se tient toujours dans les espaces intermédiaires, non-révélés ou déclarés, qui séparent les unités visuelles ». Les associations d'idées qui y surgissent sont les conséquences de ces assemblages magnétiques.
Au bout du compte, une série devient la réaffectation subjective d’un territoire après que le sujet s’en soit en partie détaché en se tournant vers le Réel. La constitution d’un corpus photographique dessine alors les nouveaux contours d’un territoire transfiguré. Une série devient donc à la fois le miroir et la contradiction d’un conditionnement symbolique porté par ce territoire. Elle propose donc à la fois une dimension critique du territoire exploré et une nouvelle perception sensible du monde (c’est à dire qu’elle s’installe dans un nouveau contexte signifiant, qu’il faudra tôt ou tard transfigurer à son tour).
Devenir le spectateur des métamorphoses de son Moi autant que de celles du monde est tout l’intérêt d’une entreprise photographique comme celle-ci. Il s'agit, d'une façon doublement perverse, de jouir de l'inconsistance de la clôture du sens puis de prendre plaisir à sa reterritorialisation. Sa présentation sous forme d'une série, de préférence au sein d'un livre, a pour ambition d'être un art à la portée de tous, transportable partout, usant d'une "rhétorique" muette universelle et affirmant un regard prenant racine dans un témoignage du Réel.
Son organisation dépend de la façon dont la dissémination hétérogène de la matière photographique accumulée va d'elle-même s'homogénéiser. Les photographies, traversées par les punctums, sont par nature inconsistantes. C'est comme si elles étaient habitées d'un manque de sens qui ne demanderait qu'à être comblé par association, complémentarité ou résonnance avec d'autres photographies. Chaque photographie en appelle d'autres du fait même de leur inconsistance esthétique inhérente. Ce manque et ces appels forment donc les premiers agencements qui feront loi pour l'élaboration d'une série. Tel des aimants qui se repoussent ou se joignent, il y a comme une loi magnétique échappant à tout désir de thématisation ou de catégorisation convenue qui donne une consistance à l'onde signifiante qui circulera entre les photographies.
Si chaque photographie est comme une particule chargée, et que certaines photographies s'associent alors que d'autres se repoussent, alors il en va de même pour des ensembles de photographies qui, comme plusieurs atomes s'assemblent en particules, forment à leur tout des unités visuelles. Les associations ou oppositions de photographies au sein d'un ensemble vont elles-mêmes, en tant qu'ensemble homogène, s'associer ou s'opposer à leur tour à d'autres ensembles.
On comprendra dès lors que l’organisation d’une série repose toute entière sur la gestion des espaces qu’il y a entre les photographies et entre les ensembles de photographies. Le « blanc » de la page ou du mur, voilà ce qui agit comme un champ magnétique au sein duquel s’associent ou se repoussent la matière photographique. Comme le dit Arnaud Claass : « En fait, quelle que soit la nature des œuvres, la qualité d’élucidation ou d’imaginaire de tout corpus cohérent se tient toujours dans les espaces intermédiaires, non-révélés ou déclarés, qui séparent les unités visuelles ». Les associations d'idées qui y surgissent sont les conséquences de ces assemblages magnétiques.
Au bout du compte, une série devient la réaffectation subjective d’un territoire après que le sujet s’en soit en partie détaché en se tournant vers le Réel. La constitution d’un corpus photographique dessine alors les nouveaux contours d’un territoire transfiguré. Une série devient donc à la fois le miroir et la contradiction d’un conditionnement symbolique porté par ce territoire. Elle propose donc à la fois une dimension critique du territoire exploré et une nouvelle perception sensible du monde (c’est à dire qu’elle s’installe dans un nouveau contexte signifiant, qu’il faudra tôt ou tard transfigurer à son tour).
Devenir le spectateur des métamorphoses de son Moi autant que de celles du monde est tout l’intérêt d’une entreprise photographique comme celle-ci. Il s'agit, d'une façon doublement perverse, de jouir de l'inconsistance de la clôture du sens puis de prendre plaisir à sa reterritorialisation. Sa présentation sous forme d'une série, de préférence au sein d'un livre, a pour ambition d'être un art à la portée de tous, transportable partout, usant d'une "rhétorique" muette universelle et affirmant un regard prenant racine dans un témoignage du Réel.
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Ci-dessous un schéma récapitulatif et synthétique de la méthode en question.