31/07/2014

La chronique d'Olmer (2)

Lucien Ballard 


Sans se concerter, du moins j'imagine, les Cahiers du cinéma et Positif consacrent leur numéro d'été aux chefs opérateurs. Je n'ai pas lu le dossier de Positif mais j'ai intégralement épluché celui des Cahiers et je n'y ai pas trouvé la moindre trace de mon chef opérateur préféré. Il faut dire que mon chef opérateur préféré est mort depuis longtemps. Mon chef opérateur préféré est né en 1908 à Miami, mais pas en Floride, en Oklahoma. Il ne porte pas un nom hongrois comme beaucoup de grands chefs opérateurs mais votre voisin pourrait s'appeler comme lui. La carrière de mon chef opérateur préféré s'étend sur 5 décennies. Il a éclairé les films des plus grands réalisateurs: Budd Boetticher, Sam Peckinpah, Blake Edwards, Samuel Fuller, Raoul Walsh, Henry Hattaway et les deux plus grands architectes de la lumière d'Hollywood : Josef Von Sternberg et Stanley Kubrick ! En effet, mon chef opérateur préféré à été formé par Sternberg, excusez du peu. Il a éclairé avec le maître viennois, Morroco et The devil is a woman. Il a eu tendance à être le chef opérateur de nombreux films que j'adore comme Laura (bon, là il s'est fait virer), The house on Telegraph hill, The Killing (mais ça s'est mal passé avec Kubrick), Band of Angels (cette merveille de Raoul Walsh à la sublime lumière) ou The party. Il a épousé et éclairé à plusieurs reprises Merle Oberon pour laquelle, suite à un accident, il a même inventé un éclairage. Mais bien sûr, ce sont ses fabuleuses collaborations avec Budd Boetticher et Sam Peckinpah qui marqueront le plus les esprits. Avec le cinéaste torero il éclaire les perles noires que sont The killer is loose et Rise and fall of Legs Diamond, plus les films tauromachiques qui me sont chers. C'est lui qui ira filmer le mythique torero mexicain Arruza dans la monumental de Mexico pour ce projet fou qui précipitera la chute de Boetticher. Sa collaboration avec Peckinpah atteint des sommets avec The Wild Bunch et ce film que j'aime tellement, à la lumière noire, The Getaway. Les images éclairées, photographiées par mon chef opérateur préféré ont quelque chose en plus, une vérité. Vous remarquerez que mon chef opérateur préféré a été aussi talentueux avec le noir et blanc qu'avec la couleur, en intérieur que dans les grands espaces. J'ai retrouvé dans ma bibliothèque un vieux dictionnaire du cinéma américain dans lequel Christian Viviani écrit des phrases comme celles-ci à propos de mon chef opérateur préféré : "Il a gardé le sens des nuances subtiles, du sfumato impalpable et du clair obscur menaçant.", " spécialiste du gros plan satiné et des ambiances gothiques", " coloriste émouvant et dépourvu d'afféteries", " Feuilles rougies, praires dorées, neiges bleutées, petits matins gris créent une inoubliable atmosphère de fin du monde." Mon chef opérateur préféré s'appelle Lucien Ballard. Il est mort à 80 ans dans un accident de la route en Californie. À Rancho Mirage.


Olmer